Thierry BELLET

Qui êtes-vous ? Quels sont votre parcours et votre métier ?

J’ai réalisé l’ensemble de mon cursus en psychologie à l’université, où j’ai obtenu un DEA1/typo3/ en psychologie cognitive et un DESS/typo3/2/typo3/ en ergonomie, suivi d’un master en intelligence artificielle à Télécom Paris. Je souhaitais m’investir dans la recherche dès mes premières années d’études. Ma thèse portait sur la modélisation du conducteur automobile. Je l’ai réalisée au Laboratoire d’Ergonomie et Sciences Cognitives pour les Transports/typo3/ (Lescot), où j’exerce toujours actuellement. Je m’investis au quotidien dans la modélisation et la simulation de la cognition humaine. L’un de mes objectifs est de simuler sur machine la façon dont un conducteur se représente mentalement son environnement de conduite, en évalue les risques, et prend ses décisions pour agir. Cela renvoie à différents niveaux de « conscience de la situation »: une conscience « implicite », sur laquelle reposent nos décisions plus « intuitives », une conscience « explicite », sur laquelle reposent nos décisions « rationnelles », et une conscience « réflexive », sur laquelle reposent nos décisions « morales » (est-ce bien ou mal d’agir ainsi). L’autre volet de mes recherches porte sur la conception centrée sur l’humain de fonctions d’aide et/ou d’automatisation de la conduite. L’enjeu est de concevoir des systèmes de co-pilotage « intelligents », capables de s’adapter en temps réel aux besoins du conducteur humain, et de coopérer avec lui.

Quel est votre rôle dans ENA ? Qu’attendez-vous d’ENA ?

Je travaille plus spécifiquement sur la question de l’acceptabilité des navettes autonomes qui doivent être déployées dans le cadre des expérimentations du projet ENA, à Sophia Antipolis et Cœur de Brenne. Avec ma collègue Aurélie Banet  du Laboratoire Mécanismes d’Accidents (LMA), implanté à Salon-de-Provence/typo3/, nous avons réalisé une enquête en ligne auprès d’un échantillon représentatif de la population française composé de 2612 personnes. Cela nous permet de disposer, à un instant donné, d’une photographie de l’acceptabilité sociétale de différents types de véhicules autonomes, dont les navettes, par la population française. Nous avons aussi pu établir des « profils type » d’usagers (en fonction de leur âge, de leur lieu de résidence, de leurs pratiques de mobilité ou de leur rapport aux nouvelles technologies, par exemple), tantôt plus sceptiques ou réfractaires, tantôt plus favorables, voire enthousiastes à l’idée d’utiliser une navette autonome. Grâce à ces travaux, nous avons aussi élaboré un modèle scientifique de l’acceptabilité visant à prédire « l’intention d’usage » des navettes, assorti d’une méthodologie d’enquête « standardisée » pour l’étude de ces questions au niveau sociétal. Ces résultats nous seront très utiles lors des prochaines étapes du projet ENA. En effet, la façon dont une technologie est acceptée puis se diffuse dans la société repose sur un processus en 3 temps. Le premier, sur lequel portait notre enquête, et correspondant à l’acceptabilité, est situé en amont de l’arrivée de la nouvelle technologie dans le quotidien des futurs usagers. C’est le niveau d’étude des représentations sociales, c’est-à-dire la façon dont les personnes perçoivent a priori la technologie sans avoir encore pu l’utiliser. Le second correspond au moment où l’objet est proposé à l’usage. C’est le temps de l’acceptation. Dans notre cas, il prendra la forme d’expérimentations sur les territoires. La dernière phase, l’appropriation, vient plus tardivement, lorsque l’objet en question est ancré dans le quotidien des usagers. Dans le cadre du projet ENA, nous ne travaillons pas sur ce volet. En revanche, nous cherchons à établir un continuum entre l’acceptabilité avant usage (l’enquête en ligne), et l’acceptation après usage (focus group et enquêtes sur les territoires). Afin de voir comment, une fois la navette effectivement utilisée, des changements s’opèrent chez l’utilisateur quant à ses a priori sur la facilité d’usage, l’utilité perçue, l’efficacité attendue ou la sécurité ressentie, par exemple. Au-delà, l’objectif est aussi de mieux connaître les attentes des usagers, afin de pouvoir spécifier une offre de mobilité qui soit bien adaptée à leurs besoins.

Quelle sera, pour vous, la mobilité de demain ?

La transition écologique que nous connaissons à l’heure actuelle nous pousse, en tant qu’usagers de la route, à questionner nos pratiques. En effet, nous connaissons une forme de rupture à plusieurs niveaux, tant technologique, sociétale, qu’environnementale. Cette mutation se cristallise autour du véhicule électrique et autonome, individuel ou partagé. Les navettes s’inscrivent dans ce schéma, mais de façon disruptive, et leur déploiement massif sur nos routes nécessite encore des avancées scientifiques. Le projet ENA nous permet de travailler collectivement, scientifiques et industriels, sur cette nouvelle offre de mobilité, en plaçant l’usager au cœur du processus de conception. Dès demain, ENA permettra une diffusion dans la société, via des phases d’expérimentations, de ce « nouvel objet de mobilité » qui sera peut-être l’une des réponses, sinon la seule, à nos changements de pratiques en termes de déplacement.


1 Diplôme d'études approfondies : ancienne dénomination du master recherche

2 Diplôme d'études supérieures spécialisées : ancienne dénomination du master professionnel