[Article] Quand les chercheurs recréent l’ambiance d’un café pour le recueil de données

Le projet d’expérimentations de navettes autonomes (projet ENA) propose de répondre à la problématique du droit à la mobilité pour tous et partout. Pour cela, les besoins et les attentes des usagers, en terme de mobilité (offres de service, sécurité ou encore confort), doivent être recueillis et analysés sur chaque territoire d’expérimentation.

Les futurs usagers de cette nouvelle technologie seront, pour cela, invités à participer à des « focus group » (ou groupes de discussions), technique de recueil de données propre aux sciences humaines et sociales, qui facilite l’échange et la discussion des participants.

      

Mais concrètement, qu’est-ce que c’est un « focus group » ?
© Univ. Gustave Eiffel
Céline ROUSSELOT

Nous avons tous un avis sur tout, que nous le partagions ou pas avec autrui, que nous le revendiquions ou non, il existe et peut être amené à évoluer au gré de nos interactions au sein d’un groupe d’individus. Prenons l’exemple d’un café, espace de convivialité par excellence qui facilite les conversations informelles entre des groupes identifiés ou non. Nous pouvons presque le comparer à une société pensante miniature. Un véritable terrain de jeux pour un sociologue qui souhaiterait étudier les représentations sociales.

Nous pouvons dire que les focus group s’apparentent, en quelque sorte, à des communications de café. Du moins, c’est l’ambiance que les animateurs de cette technique de collecte de données souhaitent recréer. Ainsi dans le cas d’un travail de recherche par exemple, cette méthodologie leur permettra de mieux cerner un sujet ou la façon dont sont comprises certaines expériences du quotidien par un public cible. Par l’intermédiaire de discussions au sein de groupes, l’animateur va utiliser l’interaction entre les participants, afin de cerner plus précisément un sujet, une série de questions pertinentes sur un domaine précis, ou une expérience du quotidien.

Un peu d’histoire à propos de cette méthode…

Retraçons sommairement l’histoire de cette méthode, utilisée à l’heure actuelle en sciences humaines et sociales et en marketing.

Nous sommes en pleine période de seconde guerre mondiale et d’après-guerre, nous connaissons un impact grandissant de la communication de masse permettant de mettre à disposition d’un vaste public, toutes sortes de messages via différent canaux (télévision, presse, radio, etc.). C’est dans ce contexte historique que deux sociologues américains, Merton et Lazerfeld, vont développer l’entretien focalisé (focused interview) qui est la dénomination initiale des focus group. Ces études s’intéressaient au processus de formation des attitudes et des opinions des auditeurs de différentes émissions de radio américaines de l’époque. Par la suite, pendant près de quinze ans cette technique disparaît. Elle refait surface au début des années quatre-vingt, avec le développement d’un marketing centré sur les attitudes et les motivations des consommateurs.

Quel est son rôle dans le projet ENA ?

Dans le cas de notre projet, les focus group permettront de recueillir les besoins, les avis, les sentiments ou encore les inquiétudes que les futurs usagers des navettes autonomes pourraient avoir vis-à-vis de cette nouvelle technologie.

L’intérêt d’utiliser cette méthode est de récolter des données qualitatives dans une période de temps réduite auprès des usagers finaux. A contrario d’un entretien individuel, les focus group apportent une dynamique de groupe qui permet aux participants de rebondir sur les idées des autres participants, en complétant potentiellement avec une information qu’ils n’auraient pas eu l’idée de dire au départ. Exactement comme dans un café, où les idées ou remarques s’ajoutent et s’entremêlent au fil des discussions, pour ainsi faire évoluer le sujet initial alimenté des points de vue de chacun.

Sur nos deux territoires, Sophia Antipolis et Cœur de Brenne nous inviterons des personnes à participer à ce projet. Elles ne seront pas recrutées de manière aléatoire. Nous devrons cibler de potentiels utilisateurs de la navette autonome. Ainsi nous obtiendrons des résultats fiables et adaptés aux contextes concernés.

Les participants devront en amont des focus group, répondre à une enquête sociétale diffusée en ligne. Cette enquête déployée à l’échelle nationale couvre plusieurs thématiques dont l’acceptabilité des navettes autonomes et la satisfaction de la mobilité actuelle. Les réponses serviront de support à l’animateur pour définir l’orientation de ses focus group.  Toutes les données récoltées durant les différentes sessions seront anonymisées et confidentielles.

Qu’attendons-nous de ces données ?

Cette méthodologie de récolte des données sera identique sur chacun des territoires impliqués dans le projet ENA. Ainsi nous pourrons comparer les différents sites étudiés, pour en tirer des conclusions sur l’avis des futurs usagers concernant la navette autonome.

De plus, elle permettra d’identifier des personnes qui pourront, avec leur consentement, être contactées pour la suite de l’enquête (une fois les navettes mises en service). Que ces personnes soient utilisatrices de la navette autonome ou qu’elles partagent l’espace public sans l’utiliser, elles pourront exprimer leurs avis et leurs points de vue, par le biais d’autres techniques (entretiens, questionnaires…).

Nous déployons, grâce à ces focus group, une méthode de récolte des données « centrée sur l’utilisateur » qui nous permettra d’identifier les attentes et les inquiétudes potentielles. Par la suite, nous pourrons ainsi définir une offre de mobilité susceptible de répondre aux besoins des territoires.

A l’avenir vous n’aurez certainement plus le même regard sur le café du coin !

      

Audrey CHARNOZ
Ingénieure d'études Laboratoire Ergonomie et Science Cognitive pour les Transports (LESCOT) - Université Gustave Eiffel

Sabrina RAZ
Chargée de projet Science & Société - Université Gustave Eiffel